Dans ses Histoires naturelles, Pline l’Ancien rapporte qu’un consul
de Rome, fasciné par la beauté de sa matière, se passionna si fort pour
une coupe à boire qu’il en rongea le bord pour s’en nourrir. S’agissait-il
de céramique ? Celle, en tout cas, de Célia Bertrand donne pareille
envie de la posséder, d’y porter les lèvres. C’est que l’artiste sait, par
les techniques et les matériaux qu’elle exploite (porcelaine, mais aussi
grès), sublimer l’objet le plus quotidien (des appliques murales, des
coupes, un guéridon, des lampadaires, des miroirs, une chaise…), le
métamorphoser en une substance nouvelle, riche avant tout de sa
blancheur native (même si réhaussée parfois de légers traits de bleu de
cobalt) : quelque chose d’une pâleur lunaire où se mêlent, çà et là,
d’autres nobles matières. Or blanc, broderies de plumes, dorures à la
feuille, oxydes et émaux s’ajoutent ainsi au travail avec l’élégance d’un
baroquisme contenu, sans excès de flamboyance.
Ce travail, faut-il le rappeler, est celui de la porcelaine,
traditionnellement coulée, ici modelée, puis cuite au four : d’une terre
vivante, rétive à la main qui la façonne, et qui n’a de cesse, à la cuisson,
que de vouloir reprendre sa forme initiale. C’est avec cette mémoire
que Célia Bertrand aime à composer, laissant à la matière et à la
flamme leur part d’initiative dans la création, toujours empreinte
d’inattendu, d’une porcelaine brute d’une grande dureté de texture et
d’un blanc très minéral. Sa translucidité naturelle, jouant de la lumière
au hasard de craquelures, de fêlures, accentue avec sobriété l’effet de
vie, l’objet-sculpture s’animant pour se muer en entité vivante, selon les
voeux de l’artiste.
Chacune des pièces exposées fait ainsi disparaître la frontière
conceptuelle entre art, artisanat et design. Le regard qu’on y porte va
au-delà dans l’ouverture et la fusion, pour donner cette étrange
impression d’une existence intime dans le plus pur du minéral.
Paloma Hidalgo